10 jours plus tard, je monte à Paris rencontrer ce fameux Louis, ingénieur en IA. Je me pointe dans le quartier du Châtelet et aperçoit un gamin de 23 ans fumer une cigarette devant un restaurant.
— Salut !
Il ne ressemble pas à un geek, plutôt grand, beau gosse, habillé comme un Californien, c’est-à-dire négligé et cool. La première impression est bonne. On commence à picoler une bouteille de rouge et l’atmosphère se détend :
— Tu connais le CEA de Saclay ? Je lui demande rapidement.
— Ouais, me répond-il avec une ironie flagrante. Des has been qui se sont installés au sud de Paris…
Son insolence me plait.
— Ces mecs me proposent de bosser avec leurs ingénieurs.
Je sens chez ce jeune type une ironie facile et un melon énorme :
— Ouais, leurs ingénieurs sont pas mal, mais je ne crois pas que l’IA soit vraiment leur spécialité.
Je commence à me poser des questions. Ce jeune est d’une arrogance à couper le souffle… Je décide de lui montrer mes premières épreuves sur notre projet. Nous l’avions écrit avec Eric Garandeau. C’était une première mouture bien naïve. Une espèce de programme un peu confus qui devait servir de premier levier pour convaincre nos investisseurs du CEA. On faisait l’histoire littéraire et cinématographique de l’Intelligence artificielle, du Frankenstein de Mary Shelley jusqu’au film de Spike Jonz, avec Joachim Phoenix tombant amoureux d’une voix électronique incarnée par Scarlett Johansson. On racontait les visions du romancier Isaac Asimov ou des délires dans l’espace de Stanley Kubrick. On divaguait sur des entreprises comme AIVA qui tentait de terminer des chefs-d’œuvre musicaux inachevés, en respectant le style et le génie des créateurs. Notre connaissance, très livresque de l’intelligence artificielle ne semblait pas vraiment impressionner mon ingénieur.
— Oui, c’est pas mal. Tu veux faire un logiciel d’écriture ?
— J’en sais rien.
— J’ai pensé à un truc, regarde…
Louis avait travaillé quelques heures sur le sujet et me balance ses premières réflexions. Il s’agit de prédire la suite d’une œuvre inachevée. D’un roman ou d’un scénario. Une sorte d’arborescence planifiant les possibilités d’un roman. Des graphes apparaîtraient sur la page du logiciel pour aiguiller les écrivains sur la suite à écrire. Inspirée des jeux vidéo, cette conception de l’écriture avait le mérite d’aiguiller mes neurones. Louis avait écrit quelques feuilles en faisant des croquis. Il les déchire de son carnet et me les donne de bon cœur :
— Tiens, tu peux t’en servir si tu veux.
— Mais je ne suis pas informaticien…
— Je sais, mais tu peux donner ça aux types du CEA, peut-être qu’ils s’en serviront pour faire quelque chose.
Je suis étonné par tant de générosité.
— Mais ça te dit pas de participer aux réunions ?
— Non, je te remercie, les mecs du CEA sont trop lents et trop ringards… Et puis j’ai déjà l’idée d’une autre start-up, je te remercie.
— Tu te fous de ma gueule !
Je suis presque vexé qu’un jeune con me snobe de la sorte…
— Écoute moi, il y a moyen de s’amuser un peu. De se faire un peu de fric et d’apprendre de nouveaux univers. J’ai besoin d’un type comme toi pour me protéger de l’administration du CEA. Je connais pas leurs pièges, ni la technologie… Il me faut un expert.
Louis hésite quelques secondes avant de commander une tournée de bière. Puis deux. Puis trois. À la fin de la journée, un peu allumés par autant d’alcool, nous nous faisons la bise pour sceller notre aventure. J’allais pouvoir affronter le CEA avec un garde du corps et un peu plus de confiance en moi.