Je vais vous raconter une histoire, celle de ma première rencontre avec l’intelligence artificielle. Comment j’ai découvert ses pères, ses créateurs, les fils qui relient l’histoire à celle de ce cerveau de silicium.
Il faut revenir en arrière, il y a bien longtemps, retourner aux temps des légendes et des grandes guerres mythologiques.
Il était une fois un militaire allemand de la République de Weimar, Hans-Thilo Schmidt, un noceur de 42 ans, un fêtard invétéré, ancien héros de la première guerre mondiale. Il travaille pour les services secrets de son pays. Nous sommes en 1931 à Berlin.
Hans-Thilo est mal payé, mal considéré, il reste toute la journée dans les bureaux du Chiffre de la capitale, ceux des services secrets de l’armée allemande, à retranscrire des codes, à noter des codes, ceux de la machine Enigma. Cette dernière permet aux militaires de son pays, ceux de la marine, de l’armée de terre et de l’armée de l’air, de communiquer entre eux lors des conflits, de rester sous les radars des pays étrangers, en secret, sans jamais être repéré par forces ennemis. Hans-Thilo Schmidt a accès à cette machine qui est le véritable trésor de l’armée allemande.
Mais il a des problèmes bien plus grave, il dépense tout son argent en alcool et en femmes, ce type est une ordure, un mari infidèle, un homme criblé de dettes. La crise de 1929 l’a ruiné, il ne voit plus d’avenir pour alimenter ses addictions.
Ce type est seul, malheureux, jaloux d’un frère qui a su monter la hiérarchie militaire et devenir l’un des plus grands généraux allemands.
Ce matin d’octobre 1931, Hans-Thilo Schmidt décide de passer à l’ennemi, de trahir son pays, il se rend à l’ambassade française situé non loin de la porte de Brandebourg. Il a emmené avec lui un dossier sur les codes secrets de la machine Enigma. Il rencontre un diplomate dans l’une des salles de l’ambassade et lui offre ses services.
Le deal est simple :
— Je travaille pour vous en échange d’une belle somme d’argent.
Hans-Thilo Schmidt a besoin de fric pour payer ses putes et ses bouteilles de cognac !
Pendant plusieurs semaines, les services secrets français du deuxième bureau hésitent à le recruter. Ils se posent des questions : et s’il s’agissait d’un piège, d’un agent double, d’un escroc ?
Ils décident d’envoyer un de leur agent traitant les plus doués, un ancien perceur de coffre, un voyou de deux mètres, un beau parleur, un psychologue hors pair, pour rencontrer Thilo Schmidt. Son nom de code est Rex, il s’agit d’Alex Stahlman, aussi connu sous son faux nom de Rodolphe Lemoine.
Ils se rencontrent dans les hôtels de passe, les cabarets, les hôtels de luxe en Suisse, en Belgique, à la frontière allemande.
Les deux hommes s’apprécient et vont infiltrer les plus grands secrets de l’Allemagne Hitlérienne pendant toutes les années 30.
Non seulement Hans-Thilo Schmidt va dévoiler tous les secrets de la machine Enigma aux services secrets français (qui partageront ensuite leurs découvertes avec leurs alliés polonais et anglais), mais il va anticiper toute la stratégie mortelle du premier cercle d’Hitler.
Réarmement du Troisième Reich à partir de 1932, ouverture de camps de concentration en 1934, Anschluss, invasion des Sudètes et de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la France…
Grâce à son frère, Rudolf Schmidt, devenu l’un des généraux préférés d’Hitler, Hans-Thilo Schmidt à accès au plus grand secret des armées d’Hitler.
Et le plus dingue dans cette histoire, c’est que le Deuxième bureau français, grâce à l’intermédiaire du Colonel Paillole, connaissait les plans d’Hitler plusieurs mois avant leur exécution. Dès 1937, le deuxième bureau français prévient les responsables français (Daladier, Pétain, Gamelin) du calendrier d’invasion de l’Europe concocté par Adolf Hitler. Lors d’une réunion secrète auquel assistait le frère de Thilo Schmidt en 1937, celui-ci prévient ses généraux de la prochaine attaque de la Tchécoslovaquie, puis de la Pologne et de la France.
Mais aucun responsable français ne prend la mesure des informations cruciales de ce fêtard invétéré… Ni Daladier, ni Gamelin ou Cot ne réalisent ce qui est en train de se passer sous leurs yeux. Ils ne croient pas au pouvoir des services secrets.
Hans-Thilo Schmidt ne tardera pas à être démasqué par la gestapo et sera décapité à la hache dans une sombre prison nazi après avoir été torturé pendant des mois.
Nous sommes en septembre 1943…
C’est là qu’Alan Turing intervient, ce mathématicien de génie dispose de toutes les informations récupérées par Hans-Thilo Schmidt. Car les français des services secrets ont transmis ses informations à leurs alliés polonais et anglais. Ces derniers ont embauché l’un des meilleurs mathématiciens pour comprendre les codes de la machine Enigma.
Alan Turing, sans doute l’un des plus grands génies du vingtième siècle, va réussir en quelques mois à percer les secrets de la machine Enigma et permettre aux anglais et aux américains de gagner la deuxième guerre mondiale plus rapidement.
Grâce à ses travaux mathématiques et son travail pour les services secrets anglais, Alan Turing va découvrir en premier les fabuleuses possibilités de l’intelligence artificielle.
Hans-Thilo Schmidt et Alan Turing, l’agent allemand des services du Chiffre et le génie anglais du Government Code and Cypher School.
La cryptologie est une discipline d’une importance cruciale pour les services secrets. Il s’agit déjà de programmation et d’ordinateur, d’intelligence artificielle et pensée robotique, et ce dès les années 30.
Décrypter le langage des machines. Les traduire. Les comprendre. Leur apprendre à penser.
Je voulais raconter les prémisses de cette formidable aventure, celle du décryptage de la machine Enigma, la vie dissolue d’Hans-Thilo Schmidt et son travail pour les services secrets alliés. L’aveuglement des politiciens français face à la folie Hitlérienne. La vie méconnue d’Hans-Thilo Schmidt.
Et surtout une morale à retenir pour la suite : l’intelligence artificielle n’est pas une construction abstraite de mathématiciens enfermés dans leur laboratoire : elle est née dans le sang et reste liée aux affres de la chair, la nature et la barbarie humaine.