SECRETS D’ÉCRIVAINS
Il faut commencer par la blessure. C’est l’élément déclencheur. L’écrivain va donc chercher en lui ce qu’il y a de plus secret, de plus caché, de plus traumatique. Il va faire la connaissance du mal, de son mal. L’esprit possède cette tendance à refouler le mauvais. Tout le trajet initial de l’écrivain consiste alors à creuser ses propres tabous, ses refoulements. Il est seul face à lui-même et se regarde dans le miroir. Il cherche l’origine de sa colère et de son envie d’écrire. Pourquoi ne pas simplement trouver un travail et fonder une famille ? Pourquoi vouloir devenir artiste et faire surgir ce qu’il y a de plus toxique en lui ?
L’écrivain est obligé de connaître le malheur
Même les romans qu’on appelle « feel good » ont besoin du tragique pour faire briller le bonheur quotidien. Ils abordent le deuil ou la rupture en essayant de la transformer en bien être. Il s’agit toujours d’une alchimie, de transformer le plomb en or. Tous ces romans de Virginie Grimaldi ou Raphaëlle Giordano ont leur source dans le développement personnel, la capacité de se réinventer et de dépasser la maladie. Il s’agit de guérir le lecteur, de lui donner de l’espoir et quelque réconfort. Mais l’écrivain, à la différence du lecteur, est obligé de connaître le malheur et d’avoir expérimenté l’envie d’en finir. C’est ce qui sépare l’écrivain de son lecteur. Le premier est un aventurier de la souffrance, il a traversé les cercles de l’enfer et revient au monde avec de bonnes nouvelles. C’est son rôle. Affronter le mal, la dépression, la colère, toutes ces émotions négatives qui font plonger l’homme dans l’enfer du quotidien, et revenir parmi les vivants en apportant un peu de réconfort.
Le mal est le moteur le plus intime de la littérature
L’écrivain est au service de l’humanité. Il est un guérisseur, un shaman, un médecin. Lire un roman, c’est trouver un ami, une consolation, un repos, une intelligence qui va traverser les cercles du mal et en ressortir plus fort… Peu importe que les histoires finissent bien ou pas. La mort du héros est parfois d’une puissance bien plus grande que sa résurrection. Dans Le Procès, Kafka décrit le parcours d’un condamné. Il dénonce l’injustice et l’absurdité du monde. Quel bonheur pour les dépressifs de lire un ami qui vous comprend ! L’écrivain est un survivant. Robert Antelme ou Primo Levi en sont les plus terribles exemples. Envoyés dans les camps de concentration pendant la deuxième guerre mondiale, ils reviennent parmi les vivants avec une œuvre d’art. Ils sont l’incarnation de l’artiste et ont eu le courage de transmettre leur expérience aux lecteurs. Ils ont donné forme au tragique et prouvé qu’il est possible de vivre malgré cette abominable épreuve. La littérature est liée au mal. C’est son moteur le plus intime. Lorsque Christine Angot raconte dans ses romans l’inceste qu’elle a subi dans son enfance, elle affronte le plus terrible des tabous. Et elle n’est pas morte. Elle continue de vivre malgré tout. Même les yeux crevés à la manière d’Oedipe apprenant la vérité et continuant d’errer parmi le monde des vivants.
La connaissance du mal est la clé
Chacun d’entre nous a vécu quelque chose d’horrible. Ce qui différencie l’écrivain du lecteur de roman ou du spectateur de films ou de séries, c’est sa capacité à affronter le mal et le transformer en œuvre d’art. Encore une fois : pas la peine d’avoir vécu le viol ou les camps de concentration pour devenir écrivain, il suffit d’une rupture amoureuse ou d’un complexe d’infériorité pour se transformer en artiste. Encore une fois, pas la peine de raconter sans pudeur son trauma en écrivant une biographie. La fiction a autant de force narratrice. La mythologie raconte aussi puissamment le trauma que l’autofiction. Il n’y a pas de hiérarchie dans les manières de raconter le mal, juste une différence de formes et de supports. Mais une chose est sûre, l’écrivain doit affronter le mal et le transformer pour avoir une chance de convaincre son lecteur. La question est maintenant de le chercher…
Pas la peine d’avoir vécu le viol ou les camps de concentration pour devenir écrivain, il suffit d’une rupture amoureuse ou d’un complexe d’infériorité pour se transformer en artiste.
Encore une fois, pas la peine de raconter sans pudeur son trauma en écrivant une biographie. La fiction a autant de force narratrice. La mythologie raconte aussi puissamment le trauma que l’autofiction. Il n’y a pas de hiérarchie dans les manières de raconter le mal, juste une différence de formes et de supports. Mais une chose est sûre, l’écrivain doit affronter le mal et le transformer pour avoir une chance de convaincre son lecteur. La question est maintenant de le chercher…
SÉRIE D'ARTICLES
Écrire : par quoi commencer ?
Cet article est le premier d’une série de quatre. Lisez-les tous pour comprendre notre approche de l’écriture d’un roman ou d’un scénario.
1. La connaissance du mal
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