Cherchez le monstre et vous trouverez le chemin le plus secret de la littérature.
Le roman est intimement lié aux contes pour enfants. Ces derniers sont la quintessence de la littérature. Son âge d’or. Les monstres y sont omniprésents. Je parle des nouvelles d’Andersen ou de Perrault, pas des fadaises édulcorées de Walt Disney.
Les tragédies grecques, celle de Sophocle, Euripide, ne parlent que de ça.
Inceste, trahisons, fratricides.
L’élément déclencheur d’une histoire, celui qui donne le départ d’un récit, c’est le mal qui s’introduit dans la réalité quotidienne.
La littérature se nourrit du monstrueux, de l’insolence, du danger, de la provocation, de la folie. L’écrivain est celui qui ausculte les monstres.
Les plus beaux personnages de la littérature sont des tueurs, des vampires...
Des romans noirs du début du siècle qui décrivaient la misère et la ville, l’industrie crasse à Chicago, les voyous, les politiciens corrompus et les serials killers (de Burnett à James Ellroy) jusqu’aux romans fantastiques de Stephen King, Lovecraft, JK Rowling ou Georges RR Martin : le monstre est le personnage principal de la littérature.
Ce qui est nouveau avec l’existentialisme, c’est la banalité du monstre. Camus lance avec « l’étranger » un nouveau type de personnage : un meurtrier de l’absurde, un assassin de la chaleur. Il ne sait pas pourquoi il a tué un homme, c’est à cause de l’été, de la mort de sa mère… Il ne sait pas. Il est un monstre malgré lui.
Les plus beaux personnages de la littérature sont des tueurs, des vampires, des flics illuminés, des suicidés, des clochards, des passionnés, des rebelles. Pensons à Madame Bovary, à Boule de suif, Hamlet, Octave, Bardamu, Lord Jim, Achab, Molloy… Des femmes adultères, des prostituées, des assassins, des débiles mentaux…
Les monstres sont les premiers personnages à étudier
Beckett a réinventé une figure oubliée du monstre : celui de l’idiot intégral, du clochard, du catatonique. Cette part en nous de folie qui nous suit comme l’ombre au soleil. Le génie de Beckett est cette description du fou que nous évitons de croiser la plupart du temps, celui qui erre dans nos villes, à l’intérieur de nous, celui qui nous fait peur et que nous refusons de voir.
Tous les bons romans policiers savent construire la figure du monstre : c’est le personnage le plus important, bien plus fondamental que la figure du flic et de l’enquêteur. C’est avec le monstre et ses crimes que l’on commence à construire les intrigues. L’enquête du flic est secondaire.
Le monstre est la boussole qui nous permet de comprendre la littérature. Pensons à Raskolnikoff ou aux rois assoiffés de sang dans Shakespeare, les mercenaires chez Racine, les drogués dans les romans de Kerouac, les parvenus de Maupassant, les femmes dépressives de Flaubert, les barbouzes d’Ellroy, les Don Quichotte, les serial killers, les aventuriers, les obsédés sexuels comme chez Sade ou Henry Miller, les hors-la-loi d’Auguste le Breton et les enquêteurs opiomanes de Conan Doyle.
La littérature est fille des contes de fées et les monstres sont les premiers personnages à étudier, à comprendre, à sculpter, à aimer, à détester
Écrire : par quoi commencer ?
Cet article est le dernier d’une série de quatre. Lisez-les tous pour comprendre notre approche de l’écriture d’un roman ou d’un scénario.
2. Méfiez-vous des techniques d’écriture
4. Cherchez le monstre
Excellents articles bien agrémentés de références judicieuses sur la litterature
Magistrale leçon. Il faut aussi la volonté de persévérer à l’infini en ayant une foi incommensurable en son propre génie ! Je devrais l’appliquer aussi à mes peintures. Marquer au ciseau dans la pierre ce que j’ai à dire !
J’ai peur de passer pour prétentieuse. To be or not to be ? Ben non , c’est mieux que Shakespeare
Hahaha
Je viens de recevoir “L’anatomie du scénario” de John Trudy, sous-titre : comment devenir un scénariste hors pair. Eh bien je pense que je vais devoir m’absenter quelque temps pour absorber les 571 pages de ce lourd pavé !!!